Lecture (très) critique du Ravel de Christine Souillard (éd. Gisserot).
"Incapable d'être le créateur d'êtres viables, Ravel refuse de s'entourer d'un double, d'un ami, d'un fils." (p36) De l'absence de femme et d'enfant dans la vie de Ravel, Christine Souillard va tirer des conclusions qui me semblent souvent rapides et partiales :
1) "Il évite jusqu'aux présences qui pourraient planer sur ses créations sous la forme de dédicaces. Celles-ci accompagnent bien chaque partition, mais ne sont jamais significatives. Hommage, remerciement à un interprète, soutien amical, elles sont en liaison directe avec la réalisation de la production mais non avec son coeur" Au contraire ! La dédicace était là, audible dans sa musique en notes transcrivant le nom et le prénom d'une seule et même personne... Moralité : On devrait croire que ce que l'on voit sans nier ce que l'on ne voit pas.
2) [Au sujet de L'Heure espagnole] " L'ironie masque le pessimisme de cette histoire où le tragique est toujours esquivé." Rappelons pour ceux qui ne connaissent pas le sujet de cette oeuvre que Concepcion, bien décidée à tromper son faible mari, l'horloger Torquemada, en ce jour où il est parti remonter "les horloges municipales", est gênée par un client, le muletier Ramiro, venu faire réparer la montre de son père le toréador. Elle lui demande de transporter dans sa chambre une première horloge dans laquelle elle a caché son amant Gonzalve. Ce jeune bachelier a la poésie facile mais ne supporte pas le voyage. Concepcion réitère le stratagème avec un deuxième soupirant, Don Inigo Gomez, plus riche, plus vieux et plus dégourdi malheureusement la corpulence de celui-ci l'empêche de sortir de l'horloge. C'est bien sûr le muletier qui montera finalement "sans horloge" dans la chambre de Concepcion, juste avant la scène finale pendant laquelle le quintette des protagonistes nous apprendra que "au jeu de l'amour, le muletier a son tour" . Comme souvent chez Ravel, c'est la clarté qui domine. Une lumière crue sur les désirs d'une femme esseulée.
3) "La Rautendelein de La Cloche engloutie, à la fois chérubin et compagne, condense l'Enfant, la Princesse et Conception [sic]. Elle renouvelle Henri, lui permet une nouvelle naissance, et, grâce à ce retour à la fusion rêvée, il acquiert une force créatrice décuplée. Elle le nourrit de lait, chante le soir pour l'endormir et l'éveille de mélodies enchanteresses. Cette figure maternelle se retrouve bien évidemment dans l'Enfant et les sortilèges puisqu'elle est le point de départ et l'aboutissement du conte . Comme ce texte est difficilement consultable, précisons que Rautedenlein ne donne du lait à Henri qu'une seule fois dans toute la pièce, au moment où elle le trouve mourant. Précisons aussi que Hauptmann ne la présente pas du tout - quoiqu'en pense Mme Souillard - en figure maternelle. La renaissance d'Henri est due à la jeunesse de Rautendelein, à sa beauté, et à son appartenance au pays de la Montagne - où règne le Soleil, et vivent les créatures fantastiques - que l'auteur oppose à celui de la Vallée, c'est-à-dire le pays des hommes, d'où vient Henri. S'il y a un personnage maternel dans cette pièce, c'est Magda, la femme d'Henri, qu'il quitte et qui en meurt de désespoir. Rautendelein est l'exact opposé d'une mère. Elle ne le rassure pas, et lui propose l'aventure : "Je suis méchante, et je gratte et mords cruellement,quand je suis en colère; et qui me fâche, eh,eh, doit veiller sur soi! me laisse-t-on tout à fait en paix, cela n'en vaut guère mieux , car, suivant mon caprice, je suis méchante ou bonne : tantôt ceci, tantôt cela, selon le sens de mon bonnet. mais, toi, je t'aime; toi je ne te mordrai pas. Si tu veux, je resterai ici; pourtant, ceci vaudrait mieux : viens avec moi dans mes montagnes" (traduction de L.F. Herold) Cette elfe capricieuse, est devenue à la fin de la pièce la femme du vieil Ondin mais elle porte en elle l'enfant d'Henri. Laissons certains y voir une Jocaste et contentons-nous d'admirer ce que Hauptmann peint sans d'autre voile que celui, bien fin, d'un soupçon de féerie : une muse ! À propos de l'Enfant et les Sortilèges, rappelons que "Maman" n'y est qu'absence, qu'on n'en voit que les jambes dans la première scène, et qu'elle est flanquée d'une paire de ciseaux... Quel rapport avec l'Elfe des eaux ? Pour ceux qui voudrait faire plus ample connaissance avec Rautendenlein, en voici la présentation, par elle-même... 4) "Les autres oeuvres dramatiques construites à partir d'une personnalité féminine (Schéhérazade, Jeanne d'arc) ne dépasseront pas le stade de projet ou d'esquisse, malgré l'importance que Ravel semble leur accorder. Que reste-t-il ? Les ballets - cette Adélaïde qui surgit puis disparaît, Chloé... Mais l'argument s'il est suffisant pour faire rêver Ravel, est bien trop imprécis pour que se profile la femme type." Mais quelle femme-type ? Celle de Ravel ou celle que Mme Souillard cherche visiblement à faire apparaître, la "Mère" à laquelle se serait rattaché un enfant qui "s'est arrêté de grandir" ? Pourquoi ne pas constater l'omniprésence de cette maîtresse
femme, qui tient tête aux hommes et que reflètent
Concepcion, Schéhérazade, Jeanne d'arc, ou Adélaïde.
Pourquoi oublier de dire que cette Adélaïde a été
inventée par Ravel lui-même, en quelques jours
seulement, alors qu'il était si lent à la tâche ! 5) La vie de Ravel n'est pas un roman : pas d'intrigue, peu de personnages secondaires, aucune péripétie... J'attends avec impatience les réactions de Christine Souillard au fait qu'une dédicace cachée parcourt toute l'oeuvre de Ravel. N'est-ce pas quand même un tout petit peu intrigant, ce second personnage ?... |