Une dédicace cachée dans la musique de Ravel - Revenir à l'index....


Page 3  Le Coeur de l'horloge
" Ni ne me mouche... "  (1)




        [ce qu'en disent les proches]

Ricardo Viñes écrit, dans son journal intime, le 1er novembre 1896, alors que Ravel a 21 ans :

" [...] auparavant on avait joué le Prélude de Tristan et, quelle coïncidence, au moment où je me disais, terriblement ému, qu’il n’y avait rien dans la création d’aussi sublime et divin que ce superbe Prélude, à ce moment Ravel m’a touché la main en me disant : « C’est toujours comme ça, chaque fois que je l’entends … » et, effectivement, lui qui paraît si froid et cynique, lui, Ravel, le super excentrique décadent, Ravel tremblait convulsivement et pleurait comme un enfant, mais profondément, car par à-coups, les sanglots lui échappaient. Jusqu’ici, malgré la haute opinion que j’avais sur l’intellectualité de Maurice Ravel, comme il est tellement et tellement renfermé pour les moindres choses de son existence, je croyais que, peut-être, il y avait un peu de parti pris et de chic dans ses opinions et goûts littéraires ; mais depuis cet après-midi, je vois que ce garçon est né avec des inclinations, des goûts et des opinions et que, lorsqu’il les exprime, il ne le fait pas pour avoir l’air snob et suivre la mode, mais parce qu’il les sent vraiment, et je profite de cette occasion pour déclarer que Ravel est un être des plus malheureux et méconnu, car il passe aux yeux du vulgaire pour un raté, alors qu’il est en réalité une intelligence et un artiste supérieurs, un pauvre être déplacé et qui serait digne d’un sort merveilleux. Il est, de plus, très compliqué ; il y a en lui un mélange de catholique du Moyen-Age et d’impie satanique, mais avec aussi l’amour de l’art et du beau qui le guide et lui fait ressentir candidement, comme il l’a démontré aujourd’hui en pleurant à l’écoute du Prélude de Tristan et Yseult."  

Ricardo Viñes, pianiste d'origine Catalane, arrivé de Barcelone en octobre 1887, connait Ravel depuis novembre 1888 grâce au cours de piano  Schaller qu'ils fréquentent tous les deux.. Les mères de deux enfants sympathisent et se voient fréquemment.
Ricardo et Maurice partageront leurs lectures et déchiffreront ensemble les partitions des compositeurs russes. Ils se montrent leurs essais de composition et c'est Viñes qui créera le Menuet Antique en avril 1898. Nina Gubisch  publiera prochaînement l'intégrale du Journal aux presses universitaires du Canada.

"[C'est] sous l'influence des femmes que Ravel a le mieux travaillé. Beaucoup tournaient autour de lui, et il s'en montrait très heureux. Elles ont été aussi nombreuses que variées."
Manuel Rosenthal ne connut personnellement  Ravel qu'à partir de 1926. Il  devint son dernier élève.

"Ravel, qui, pendant toute la première partie de sa carrière, fréquenta si assidûment les plus brillants salons de la capitale, découvrit au milieu des ces simples, une atmosphère qu'il respira avec une véritable volupté."
"Il a une pudeur de ses sentiments encore plus ombrageuse que celle de Debussy. Mais n'allez pas croire qu'il soit dépourvu de sensibilité. Sous prétexte qu'il ne laisse rien au hasard et qu'il ajuste toutes ses partitions avec une minutie et une précision inimitables, on a déclaré que son génie n'était pas exempt d'une certaine sécheresse. Stravinski s'est montré prodigieusement injuste pour Ravel, le jour où il a déclaré que ce n'était qu'un " horloger suisse . Lorsqu'on veut bien, je ne dis pas écouter, mais ausculter son Quatuor, le dernier tableau de Ma Mère l'Oye, le chœur final de L'Enfant et les sortilèges et toute la partition de Daphnis et Chloé, on s'aperçoit que Ravel possède un tempérament émotif et sensible, mais que ses confidences sont remplies de tact et de discrétion."

Emile Vuillermoz (1878-1960) fut condisciple de Ravel dans la classe de Fauré.. (numéro spécial Ravel de la Revue musicale, décembre 1938)

"Comme il a trompé son monde ! Il passe encore pour un révolutionnaire et nous savons bien pourtant que c'est le plus authentique continuateur de Rameau ou de Couperin. Il passe aussi pour merveilleux indifférent, pour un magicien des sons qui ne fait ses tours que pour étonner un public ravi : or, cet illusionniste est le plus sensible et le plus émouvant des musiciens."

Tristan Klingsor (Avant-scène de L'Enfant et les sortilèges)
"Il semblait mystérieux parce qu'il était trop pudique pour dévoiler sa profonde ardeur. Une pointe d'humour l'aidait à se mieux masquer. Cet ambitieux porteur de rêves aimait à paraître d'abord occupé de l'extérieur." Tristan Klingsor, L'époque Ravel.

"Tous ces petits détails peuvent sembler puérils, mais ne sont-ils pas en contradiction avec tout ce qu'on a pu dire sur la sécheresse ravélienne ? Il est vrai qu'il était difficile, au premier contact, de déceler la vraie nature du musicien secret : lui-même s'ingéniait à paraître si hermétique !"

"Une charmante petite Italienne, xylophoniste, avait émerveillé Ravel; son nom n'était-il pas Maria Valente?" 

Hélène Jourdan-Morhange rencontre Ravel en 1917 et devient une de ses meilleures amies et ce jusqu'à sa mort. (Ravel et  nous, p. 34 et p. 44)

"On ne mesure pas souvent de combien d'énergie est faite une gloire d'artiste; [...]

 Mais il avait à lutter, encore et toujours : maintenant, c'était « contre soi-même ». Il se sentait, en quelque sorte, son propre prisonnier. Prisonnier d'une manière, voire d'une discipline; prisonnier du soin méticuleux qu'il apportait à ses œuvres, de sa façon d'écrire, des ses habitudes harmoniques, de son goût subtil et fin. Et aussi de certaines thèses de Baudelaire (notamment, sur la beauté de l'artificiel). Puis, comme tout humoriste digne de ce nom, il gardait une pudeur extrême de dévoiler son âme. Ajoutez la conscience extraordinaire qu'avait des hommes et de ce qu'ils pensaient cette intelligence acérée, précise et prévoyante... Tout cela constituait une ambiance où la création se faisait bien plus difficile que chez tel « naïf » comme Albéric Magnard ou Paul Dupin (grands artistes d'ailleurs, et si émouvants). Ravel vivait dans un souci constant du mieux, dans l'horreur de l'à-peu-près et du laisser-aller, dans la crainte surtout que son art ne manquât de cette « tenue de style » qu'il jugeait un devoir primordial de l'artiste, et le signe nécessaire de son honnêteté professionnelle de bon artisan (soit dit en passant, une telle conception ne manque pas d'élévation morale; peut-être ne l'a-t-on pas assez nettement discerné).

Une fois prise la résolution de se mettre au travail, d'envoyer promener tout le reste, se cloîtrant (et non sans fatigue, comme on peut le croire), il venait à bout de tous les obstacles. Souvent alors l'œuvre surgissait plus forte, de cette logique inexorable, de cette impeccable construction de « parfait horloger ». Mais l'épithète d'horloger ne me plaît qu'à demi. Elle évoque un ouvrage de mécanicien, non celui d'un être sensible. Vous me direz que Ravel prétendait composer par la seule « raison »? Il savait bien qu'une autre cause intervenait, dût-il la tenir cachée. Tout le premier il se montrait assez vexé qu'on écrivît : « Si l'art de M. Debussy est tout sensibilité, celui de M. Ravel est tout insensibilité. « 

Il ne s'agit pas de chercher, indiscrètement, quelque analogie entre Ravel et Le Potier de Tristan Klingsor. Mais aujourd'hui chacun accorde qu'il était, à ses heures, un sensible (chose facile à prouver par sa musique). Je n'oublierai jamais ce qu'il m'écrivit, dans une lettre si émue, sur le deuil inconsolable qu'est la mort d'une mère. Et bien d'autres traits de caractère seraient à citer."

Charles Koechlin, condisciple de Ravel dans les classes de Gedalge et Fauré. « Ravel et ses luttes » (Revue Musicale de décembre 1938)

"Aussi, ce qui, pour moi, a toujours été un sujet de stupeur, c'est que très peu de gens ont subodoré le monstre de tendresse qu'était Maurice Ravel." Jacques de Zogheb (Souvenirs ravéliens, in Maurice Ravel par quelques-uns de ses familiers, 1939, éd. du Tambourinaire)

Le dandy
"Il en aurait pleuré tantôt ! Gaillard l'avait oublié au dernier moment, qui devait lui livrer son nouvel habit bleu pour la première[de L'Heure espagnole Maurice Delage, éd du Tambourinaire

Idées, estéthique...
"Il ne parlait jamais de la mort, et la craignait."

Ravel et nous
"On s'aperçoit vite que Debussy affecte souvent une trompeuse nonchalance, alors que Ravel ne se départ jamais, dans sa magie, d'une inflexible volonté." Vuillermoz (L'œuvre de Maurice Ravel

(1) réponse de Mallarmé à la question "Vous ne pleurez donc jamais dans vos vers, monsieur Mallarmé?" (cité par Hélène Jourdan-Morhange dans Ravel et nous)


dernière modification : déc. 2006
David Lamaze
Le Cygne de Ravel ~ Le Coeur de l'horloge